Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Je vous fais partager un article d’Olivier Norek dans le journal Libération de ce dimanche 18 mars. Il vient apporter un peu d’eau à mon moulin ou bien corrobore mon questionnement en ce qui concerne l’empoisonnement de l’agent double.

« Entre neige russe et fog anglais, l’histoire de l’agent Skripal
Un scénario sans faille de Moscou ? Londres qui tente le coup à plusieurs bandes ?

Devant l’histoire de l’espion et de sa fille empoisonnés en Angleterre, le romancier ne peut que sombrer dans la paranoïa.

Ancien colonel de la direction centrale du renseignement de l’armée russe (GRU), Sergueï Skripal devient espion à la solde de l’Angleterre. Payé 100 000 dollars par le renseignement britannique du MI6 pour dénoncer l’identité d’espions russes en Europe, il est démasqué, arrêté et condamné en Russie à treize ans de prison pour trahison. Il profite d’un échange d’espions entre Washington, Londres et Moscou en 2010 et s’installe sous protection de la couronne à Salisbury. Il est victime d’une tentative de meurtre, dans cette même ville, en mars 2018, et retrouvé inconscient sur un banc, assis à côté de sa fille Youlia, empoisonnés tous deux avec un agent innervant. Ce n’est pas le sarin du métro de Tokyo ou de la Syrie, ni l’agent XV qui a tué en Malaisie le demi-frère de Kim Jong-un, pas plus que le polonium 210 dont a été victime Alexandre Litvinenko, mais le «Novichok». En français, le «petit dernier», substance chimique mise au point par la Russie à la fin de l’ère soviétique, lorsque Poutine n’était qu’un simple lieutenant-colonel du KGB.
Quand on dîne avec le diable, il faut choisir une longue cuillère
Produit russe, espion russe, à quelques jours du premier tour de la future et annoncée ré-ré-ré-élection de Vladimir Poutine, les projecteurs se braquent tout naturellement vers celui qui nage avec les dauphins, dompte les ours sibériens et se baigne dans le lac Seliger par -9°C sans frissonner. Poutine est un homme à la tête d’un pays de 145 millions d’habitants et il ne peut tolérer la faiblesse, encore moins la trahison. Ses services auraient alors retrouvé la trace de Sergueï Skripal. Il est devenu un paisible sexagénaire, ses niveaux de vigilance et de méfiance se sont abaissés tout au long de ces huit ans d’expatriation dans ce calme comté du Wiltshire.
J’imagine Sergueï et Youlia, sortant d’un déjeuner dans un des restaurants de Salisbury, puis prendre le temps d’un café, au calme, dans un pub du quartier. Ils se racontent. Sa vie anglaise à lui, son quotidien moscovite à elle. Youlia est une jeune femme courageuse, qui ne craint pas d’affirmer sur les réseaux sociaux que l’emprisonnement de Vladimir Poutine serait une bonne idée. Elle est venue visiter son père, dans une Angleterre qu’elle connaît bien pour avoir vécu à Londres quelques années. Mais sur le chemin du retour, après le déjeuner, Sergueï a un haut-le-cœur, une nausée, un vertige… Il s’assied sur un banc, sa fille elle aussi commence à ressentir les premiers effets de l’empoisonnement. Si Youlia ne comprend pas tout de suite, Sergueï n’a pas dû hésiter longtemps. Il est ex-espion, traître à la Russie, et l’ordre de son exécution est une épée de Damoclès avec laquelle il a appris à vivre. Ce n’est pas une balle dans la tête, ni un accident de voiture à tombeau ouvert. Le poison est le chemin d’une mort lente, qui laisse le temps des remords et des souvenirs.
Peut-être a-t-il pris la main de sa fille, peut-être s’est-il excusé. Avait-il pensé qu’être espion ne menacerait que lui ?
- Nous avons été empoisonnés Youlia. C’est de ma faute. Je suis désolé.
Peut-être a-t-il aussi pensé aux 100 000 dollars du MI6… C’est peu, quand son enfant crève doucement à ses côtés, là, sur un banc public. Colonel dans le plus secret de tous les services russes, il a passé un accord tacite avec Poutine : la fidélité ou la mort. Skripal a pourtant choisi une troisième voie, celle de l’intrigant. Mais lorsque l’on dîne avec le diable, il faut choisir une longue cuillère. Les 3 000 kilomètres séparant Moscou de Salisbury n’auront pas été suffisants. Aux dernières nouvelles venant des services de renseignements anglais, la substance, sous forme de poudre, aurait été placée dans le système d’aération de leur voiture ou déposée sur les poignées de porte, ce qui explique logiquement l’absence d’hécatombe entre le restaurant et le pub.
Parfois, les assassins utilisent l’évidence de leur culpabilité comme un alibi. «Puisque j’ai un mobile, puisque l’arme du crime m’appartient, puisque j’étais sur place et que tout ne fait que m’accuser, j’aurais été fou de le faire». C’est une partie de la défense de Poutine.
Quoi qu’il en soit, innocent ou coupable, le scénario russe ne comporte aucune faille. «Nos partenaires occidentaux nous accusent de tout ce qui va mal sur la planète», tempête le ministre russe des Affaires étrangères. Et prétendre avoir l’Occident à dos, comme la menace des prémices d’une nouvelle guerre froide, c’est se «victimiser». Une manière habile de rallier son peuple derrière Poutine, à quelques jours des premiers votes. Si, au contraire, on adhère à la signature «Russian Touch», c’est une façon plutôt efficace de rappeler les règles : le temps ne change rien, la sentence est patiente et chaque traître sera puni. Choisir le poison facilite aussi la suspicion d’un geste russe. Le poison «Novichok» devient donc une signature dans un Royaume-Uni qui compte, en quelques années, une quinzaine de morts suspectes d’opposants ou d’ex-espions russes. C’est un avertissement, comme une publicité et, en ce sens, il n’a pas à être discret, au contraire.
Comme inventer des armes de destruction massive pour envahir l’Irak
Pourtant, un romancier s’amuserait à penser que toute signature peut-être contrefaite. Ainsi, les «copycat» de meurtriers sériels se protègent-ils de la police en imitant le mode opératoire d’un autre assassin. Supprimer Skripal avec un poison rare, d’origine russe qui plus est, serait la meilleure manière d’accuser Moscou. Mais quel intérêt ? Surtout lorsque l’on sait l’engagement de la Grande-Bretagne dans de futurs et considérables investissements énergétiques avec la Russie. Pourtant, invisible à l’international (thank you Brexit), fragilisée au sein de son propre parti, elle revêtirait en pointant du doigt la Ruissie le costume d’une cheffe de guerre froide.
John Le Carré ou Ian Fleming se mettraient à imaginer que Theresa May en profiterait, comme elle le fait aujourd’hui, pour se débarrasser de 23 diplomates russes. Le fameux coup en deux bandes. Faire tuer un ex-espion, accuser la Russie, éjecter 23 pions de l’échiquier. Comme inventer des armes de destruction massive pour envahir l’Irak. Paranoïaque ? Tiré par les cheveux ? Dans l’espionnage international, la paranoïa est considérée comme une qualité et tout ce qui semble de prime abord tiré par les cheveux devient hypothèse envisageable.
A moins que, dans le plus grand secret, Skripal se soit il y a peu rallié à Moscou et soit devenu un agent double. C’est possible, et ce ne serait pas la première fois dans l’histoire de l’espionnage. Il aurait aussi pu être agent triple, mais là tout se complique : il serait donc un espion pour l’Angleterre, faisant croire aux Russes qu’il travaille pour eux, alors qu’il ment à l’Angleterre en travaillant réellement pour les Russes. N’allons pas plus loin, l’agent quadruple n’existe pas, ce serait faire 180 degrés et revenir au même point, l’agent quadruple étant en fait un simple espion. Aspirine ? »

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :